Liturgie
En découvrant L'Annonce de Marie-Hélène Lafon (grâce à Laure : encore merci !), j'ai eu envie de découvrir d'autres textes de cet auteur dont la langue m'avait véritablement conquise. Pioché à la bibliothèque, Liturgie, un recueil de cinq nouvelles, s'avère être un des premiers livres édités de Marie-Hélène Lafon.
Comme dans le roman, L'annonce, la campagne et la rudesse de la vie paysanne servent de décor aux cinq nouvelles qui composent Liturgie. La première et la dernière nouvelles sont des textes courts, presque anecdotiques qui mettent en lumière un bref moment de vie sans que les personnages n'aient des contours très nets. Au contraire, les trois longues nouvelles du "milieu" évoquent chacune un personnage dont les nouvelles portent le nom (Alphonse, Jeanne et Roland).
Trois personnages, trois histoires, trois destins avec un même point commun : une différence qui les isole. Dans le monde rude de la vie paysanne, il n'y a pas de place pour les extravagances. Chacun y a un rôle, utile pour le bon déroulement d'une vie rythmée par le labeur. Alors Alphonse, l'attardé, et Jeanne, l'intellectuelle prennent - malgré lui, pour Alphonse, ou volontairement, pour Jeanne - leurs distances. Ils vivent dans un monde à part : Alphonse partage sa vie entre internements à Sainte-Geneviève et travaux de femme (ménage, couture) à la ferme. Il dérange forcément, personne n'a envie de montrer ce fils différent. Enfermé loin ou à l'intérieur de la ferme, Alphonse s'attache à ses neveux qui ne le lui rendent pas puis à une jeune bonne qui voudrait bien, elle, le lui rendre.
Jeanne, elle, choisit les livres et les études. Seul membre de la famille à faire des études, elle quitte la ferme familiale et le destin tout tracé qu'on lui réservait, pour devenir institutrice loin des champs et des bêtes dans une vie, à jamais, solitaire.
Roland, même s'il semble se couler dans le moule que la vie lui a fabriqué, est lui aussi un être solitaire qui finira, sans un mot, par se pendre. Il meurt comme il a vécu, dans le silence, sans que personne ne puisse vraiment expliquer son geste.
A l'instar de L'Annonce, les personnages de Liturgie sont des taiseux et les sentiments ne se montrent pas. Pas de place pour les états d'âme. On y retrouve "le silence rugueux qui vient de ce monde où j’ai commencé, un monde où les mots servent à dire des choses utiles, ou à parler des autres, mais pas à se dire, soi. Se dire est obscène ; on se tait. Les personnages de mes livres se taisent, ils n’expliquent rien, ne s’expliquent pas, et je les montre seulement en train d’exister au ras des choses." comme l'écrit Marie-Hélène Lafon ici.
Dans la langue syncopée et quasi hypnotique qui m'avait déjà charmée dans L'Annonce, Marie-Hélène Lafon dresse les portraits rugueux d'êtres enfermés dans la solitude qui luttent sourdement contre leur destin. Et de la terre natale de Marie-Hélène Lafon, le Cantal, de "l'enfance et les origines paysannes, plantées dans la terre" naît la beauté, entre rudesse et fragilité.
Liturgie de Marie-Hélène Lafon. Buchet/ Chastel - 2002.