Un temps fou
Elle s’appelle Maud, est romancière et en panne d’écriture depuis huit mois. Un coup de téléphone inattendu va la sortir de sa torpeur. Au bout du fil, la voix d’un homme croisé il y a six ans dans une soirée. Ils y avaient uni leurs solitudes dans une longue conversation ponctuée de silences, entourée de troubles. Une longue nuit irréelle qui a figé dans le cœur de Maud une idée fixe : elle aime cet homme. Pendant six ans, elle le fanstasme, l’habille de la lumière de la passion malgré, ou peut-être à cause du silence entre eux. Ils ne se sont jamais revus. Alors, lorsqu’il l’appelle pour lui proposer une collaboration sur un prochain film, le désir fait vaciller Maud, un désir fou dont elle ne se savait pas capable. Et avec lui reviennent l’écriture et les souvenirs, ceux de l’intime et de l’enfance qu’elle pensait avoir oublié à jamais.
Jusqu’à l’obsession, jusqu’à la saturation, jusqu’à la désillusion, Laurence Tardieu déroule le fil d’un amour dévorant. Un amour à l’épreuve du temps, une passion douloureuse presque nécessaire à la vie, une attente sourde, une mise à l’épreuve de ces vies « si fragiles et si incertaines. On croit parfois leurs fondations solides, on s’émerveille du chemin parcouru, puis, comme ça, soudainement, pour un éblouissement, elles volent en éclats, se fracassent contre un rêve. » Un véritable amour ou peut-être finalement n’était-ce qu’un rêve d’amour ?
Avouons-le, ce dernier roman de Laurence Tardieu m'a moins charmée, emmenée que Puisque rien ne dure. En tout cas, au début. L'héroïne ressasse sans fin l'attente de cet homme plus rêvé qu'autre chose. Mais alors que le lecteur pourrait être agacé de cette folle obsession, Laurence Tardieu sait subtilement donner un virage à son récit. Et vu le nombre de passages que j'ai notés... c'est sûr, ce livre m'a tout de même parlé!
Un temps fou de Laurence Tardieu. Editions Stock (2009)
Extraits :
p. 20 : « J'ai peur de vous revoir. Peut-être aurait-il mieux valu en rester là, comme nous l'avons fait depuis six ans, conformément à je ne sais quel accord tacite passé entre nous : ne pas nous revoir, jamais, garder au creux de nous cette longue nuit irréelle comme un secret qui n'appartient qu'à nous. Peut-être, au fond, l'accident est-il celui de notre rencontre, pas du silence qui s'ensuivit. Les vies sont si fragiles, si incertaines. On croit parfois leurs fondations solides, on s'émerveille du chemin parcouru, puis, comme ça, soudainement, pour un éblouissement, elles volent en éclats, se fracassent contre un rêve. Qui peut se prémunir de ça? Qui peut se croire assez fort pour ne jamais chuter, pour ne pas désirer céder à ce qui un instant l'a fait défaillir ? J'ai peur de vous revoir, mais comme j'en suis heureuse. »
p.32 : « J’ai peur de vous retrouver. J’ai peur de prononcer votre nom. Je ne le prononce pas. Je l’ai prononcé trop de fois, au cœur de nuits trop longues, trop blanches, à l’aube, à la tombée du jour, dans ces moments où la vie se fait soudain incertaine, comme si quelque chose au-dedans d’elle se brisait et l’empêchait de se poursuivre, ces moments où on doute qu’à la nuit succèdera le jour, on ne sait plus, la solitude envahit tout, comme une marée qui n’en finirait pas de monter, elle déborde les mots, les pensées, on ne peut plus parler à celui qui vit avec nous, on serre son enfant contre soi, on ne sait pas s’il a peur mais on voudrait le rassurer, on aimerait qu’il ne connaisse pas ce fracas intérieur, cette impuissance, la vie qui se rompt, manque d’abandonner. »
p.185 : « La nuit est silencieuse. L’aube n’est pas encore là. Je reste allongée dans le lit. Je me souviens comme je t’ai attendu. J’avais pensé que tu serais celui qui me consolerait. Tu me consolerais du sentiment déchirant de se savoir en vie et pourtant de passage. Tu me consolerais de ce que la vie ne soit qu’une insupportable succession de pertes. De ce que rien ne dure et que tout s’efface. De ce qu’on s’efface.
Depuis une dizaine d’années a passé. Ma vie n’est plus la même. Je vis aux côtés d’un homme qui m’aime. Ma fille est devenue une jeune femme. J’éprouve pourtant toujours au fond de moi, comme un sanglot que je cache à tous, le même besoin de consolation. Mais je crois avoir compris que personne, jamais, ne pourra me consoler. On devrait peut-être apprendre aux enfants qu’on reste à jamais inconsolable. Que ça ne sert à rien de chercher ça. Que ça n’existe pas. Que c’est un rêve qui n’existe pas. »