L'autre fille
Avec leur nouvelle collection, « Les Affranchis, les éditions NIL ont fait la demande suivante à leurs auteurs : « Ecrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite ».
Et Annie Ernaux de prendre la plume pour adresser une lettre toute en émotion à Ginette, sa sœur décédée à l’âge de six ans, quelques années avant la naissance de l’auteur. Une sœur dont on n’a jamais parlé dans la famille et dont la jeune Annie découvre l’existence, un dimanche d’été, à dix ans, au détour d’une conversation.
Une sœur qu’elle n’a pas connue mais qui était toujours présente dans le silence et les inquiétudes parfois exacerbées de ses parents. Une sœur dont la mort a permis sa naissance à elle :
« Mais toi et moi étions destinées à être uniques. Leur volonté de n’avoir qu’un seul enfant affichée dans leurs propos on ne pourrait pas faire pour deux ce qu’on fait pour un impliquait ta vie ou la mienne, pas les deux.
Il m’a fallu trente ans et l’écriture de La Place pour que je rapproche ces deux faits, qui demeuraient dans mon esprit écartés l’un de l’autre – ta mort et la nécessité économique d’avoir qu’un seul enfant – et pour que la réalité fulgure : je suis venue au monde parce que tu es morte et je t’ai remplacée. »
Un secret de famille dont on porte le poids malgré soi :
« Je ne leur reproche rien. Les parents d’un enfant mort ne savent pas ce que leur douleur fait à celui qui est vivant. »
L’idée de cette nouvelle collection a tout pour me séduire : la correspondance a longtemps pris une grande place dans ma vie (un ami de mes parents lorsque j’étais ado me surnommait « Madame de Sévigné » tant j’avais de correspondants et vu le temps que je passais à rédiger des lettres à destination de différents coins de la terre) et j’ai depuis toujours voué un amour particulier à la littérature épistolaire. Et avec le premier titre découvert dans cette nouvelle collection, je n’ai pas été déçue. Annie Ernaux livre une lettre touchante en forme d’introspection, révélant beaucoup d’elle-même : la construction d’une identité, d’une femme, à l’ombre d’une sœur morte, le silence à la fois pesant et salvateur, le rapport aux parents qui se construit dans le secret et forcément une histoire familiale aux tonalités particulières qui ne cesse d’influencer son œuvre.
Un livre court qui résonne et habite le lecteur par sa puissance et qui donne envie :
1/ d’aller plonger dans les livres d’Annie Ernaux (j’en ai lu très peu)
2/ d’aller découvrir les autres titres de cette collection bien pensée où l’on imagine que l’émotion sera toujours au rendez-vous.
p.54 : « Tu n’as d’existence qu’au travers de ton empreinte sur la mienne. T’écrire, ce n’est rien d’autre que faire le tour de ton absence. Décrire l’héritage de l’absence. Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. »
L’autre fille d’Annie Ernaux. Editions NIL, coll. Les Affranchis/ 2011.
C’est Laure qui, la première, m’a donné envie de découvrir ce texte. Et entre elle et moi, les histoires de correspondances font forcément écho. ;-) Son beau billet : ici !