Les mots d'Anne Percin

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p. 119 : « Je sais que je ne suis pas malheureux parce que je suis seul. L’inverse est probablement plus juste. Vivre seul ne nuit pas, ni ne guérit de rien. Ça rend seulement plus évident ce qui empêche de vivre avec les autres…

Ma solitude, il est temps de reconnaître qu’elle existera toujours, même entouré d’amis. Je le sais bien. Ça ne s’en va pas comme ça. C’est comme une tache indélébile mais invisible. Ce qui est vraiment crade, ce qui fait vraiment mal, c’est la tristesse. C’est elle qui m’éclabousse, me macule, me salit. Je tombe dedans et me voilà couvert de merde. Je pue.

Personne ne voudrait de moi dans cet état. »

 

p. 172 : « Dix ans de souvenirs, c’est peu. C’est tout ce que j’ai, moi, pour me rappeler mon frère. Et encore, dans ces dix ans, faut-il compter des années nébuleuses, sans paroles, avant deux ans ? Il y a là-dedans beaucoup de choses fumeuses, d’ombres évanouies, d’événements supposés, rêvés peut-être. Comment savoir quels enfants nous étions ? Comment être sûr des sentiments que j’ai éprouvés pour lui ? Ma mère ne peut pas m’aider, sur ce point-là comme sur tant d’autres. Je suis seul avec ma mémoire qui a tout repeint en couleurs. Toutes les zones floues sont irrécupérables. Comment faire pour garder de tout cela une image unique ? Apaisante ? Comment faire pour ressentir autre chose que de la peur ?

Je crois qu’il faut faire semblant. La réalité nous échappe, de toute façon, parce qu’elle nous demeure inconnue ou que nous ne la supportons pas. Nous vivons dans la fiction, il n’y a que cela qui nous convienne. Il faut seulement choisir quelle forme donner à notre malheur. Jusqu’à présent, je n’ai su en trouver qu’une : le cauchemar. Mais en lisant les mémoires de Rosa Bonheur, j’ai vu qu’il existait d’autres figures. D’autres postures, tout aussi mensongères, mais confortables, vivables en somme. Si l’on veut, par exemple, que nos morts familiers cessent de nous tourmenter, il faut les clouer au pinacle. Là-haut, tout là-haut dans le ciel, ils nous encombrent moins. On crée un panthéon, on y installe le mort qu’on aime, on décide qu’on lui dédiera tout, qu’en échange il nous protègera. Sur cette vague promesse se sont bâties les religions, depuis les premiers hommes. Le seul et unique but de toute croyance est bien d’accepter la mort. Le reste, c’est du folklore. »

 

extraits de Bonheur Fantôme d'Anne Percin. Editions du Rouergue, coll. La Brune/ 2009.

Publié dans Compagnons de voyage

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P
<br /> <br /> des mots,quelques phrases et me voilà embarquee.....oui decidement je note...<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Ce livre me tente depuis peu et ces passages me donnent encore plus envie.<br /> <br /> <br /> Je te souhaite une bonne année 2011.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Belle année à toi aussi Anne!<br /> <br /> <br /> Et si tu as l'occasion de lire "Bonheur fantôme", il faut le faire sans hésitation. Je suis sûre qu'il te plaira.<br /> <br /> <br /> <br />