Des hommes
Bernard dit Feu-de-Bois s’est lavé, rasé, peigné. Cet après-midi, sa sœur Solange fête ses soixante ans et son départ en retraite. Et Feu-de-Bois a un cadeau à lui remettre. Mais la riche broche dans son écrin bleu nuit déclenche les foudres de la famille réunie pour l’occasion. Comment a-t-il payé ce bijou, lui ce moins-que-rien de Bernard, lui que chaque frère et sœur aide comme il peut, comme il veut. Un souper de temps en temps, quelques vêtements en échange de menus services. Lui qui vit aux crochets de la famille, comment a-t-il osé venir les défier avec son bijou hors de prix et son mépris ? Humilié, Feu-de-Bois va alors être pris d’un accès de folie qui lui fera commettre un acte que bien peu sont prêts à lui pardonner. Un accès de folie passagère… ou alors quelque chose qui couve, quelque chose que l’on a voulu taire, ignorer tant et si bien qu’il vous ronge de l’intérieur ? Des images, des souvenirs que personne ne veut entendre. Ce silence, c’est celui de la guerre dans laquelle Bernard et son cousin Rabut ont été enrôlés à 20 ans à peine, là-bas en Algérie. Ce silence, c’est celui de l’horreur vue et de l’horreur commise. Ce silence, c’est celui de l’oubli volontaire. Ce silence, c’est celui des cauchemars qui hantent les nuits même quarante ans plus tard, même après une vie passée. Ils ont beau se taire ces anciens soldats, ils ne seront plus jamais les mêmes.
Second roman de Laurent Mauvignier que je découvre (après Apprendre à finir), cet auteur-là me fait le même effet à chaque fois : je m’accroche pour entrer dans la langue si particulière de Mauvignier – elle est ici saccadée et brute. Puis je me laisse bercer et les personnages deviennent compagnons de voyage. Feu-de-Bois, Février, Chatel, Nivelle, Rabut, naïfs petits soldats qui s’ennuient à la guerre ont des projets d’avenir plein la bouche et rêves remplis de jolies fiancées. Mais c’était sans compter la guerre et ses traumatismes, les vies à reconstruire, le passé à enfouir.
C’est un livre que j’ai beaucoup aimé, malgré sa dureté. J’ai aimé la construction du roman qui nous emmène de l’après-midi au matin, en passant par une nuit vraiment sombre. Au fur et à mesure que le jour décline, que l’obscurité s’installe, c’est la noirceur de l’âme humaine et les horreurs qu’elle est capable de commettre que Laurent Mauvignier donne à voir. Je ne sais qu’en dire de plus alors je m’arrête là et note sur ma LAL les autres titres de l’auteur…
Des hommes de Laurent Mauvignier. Les éditions de Minuit (2009).