Mon coeur à l'étroit
Nadia et Ange sont deux instituteurs dans la même école à Bordeaux. Leur métier, ils l’exercent avec une passion proche de la dévotion. Pourtant, depuis quelque temps, une réprobation générale semble peser sur eux. Comme si la ville entière n’exprimait plus que du dégoût à leur égard, qu’il s’agisse de leurs propres élèves ou du moindre passant dans la rue. Ange rentre un soir, une blessure profonde au flanc. Qui, pourquoi, comment ? autant de questions qui restent sans réponse. Le seul « allié » du couple semble être ce voisin qu’ils se sont toujours appliqués à ignorer. Pendant qu’Ange agonise dans son lit et que Monsieur Noget (l’étrange voisin) cuisine sans relâche, Nadia s’interroge et tente de trouver refuge auprès de son fils.
Bien étrange livre que celui-ci ! Le récit, au premier abord réaliste, bascule rapidement dans une sorte de fantastique. Démons intérieurs de la narratrice ? Peut-être… Au fur et à mesure que Nadia s’enfonce dans ses doutes et ses peurs, son corps et sa ville se transforment. Nadia enfle et n’a plus aucune emprise sur son corps qui gonfle démesurément. La ville se nimbe, elle, d’un brouillard qui fait perdre à la narratrice hallucinée tous les repères qu’elle s’était construits. On comprend peu à peu que cette bonne bourgeoise a rejeté ses origines : sa famille à qui elle ne donne plus de nouvelles depuis des décennies et qu’elle a fait passer pour morte à ses proches, son quartier des Aubiers où elle n’a plus remis les pieds, ses amis d’enfance qu’elle s’est attachés à oublier. Mais aujourd’hui, à cinquante ans, le passé semble vouloir se manifester et le regard haineux qu’elle lui jetait se retourne contre elle. Une ambiance étouffante, parfois même écoeurante mais pourtant fascinante. J’ai bien au peur au bout d’un moment de me lasser des interrogations de Nadia mais c’est justement à cet instant que Marie N’Diaye a redonné du souffle au récit, dévoilant ce qui se cachait au fond du cœur et de la vie de son héroïne. Finalement, j’ai lu avec une certaine avidité ce récit halluciné qui interroge encore longtemps après avoir refermé le livre tant on y cherche dans chaque signe une métaphore. Et tant on se demande comment fait l’auteur pour nous mettre si mal à l’aise. Mon cœur à l’étroit est, c’est certain, un livre qui ne laisse pas indifférent tant par son style élégant (et envoûtant) que par son thème étrangement dérangeant.
Mon cœur à l’étroit de Marie N’Diaye. Editions Gallimard (2007).
crédit photo: Gallimard & Amazon