Une vie française

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A la mort de leur aîné Vincent, la famille de Paul Blick (lui alors âgé de huit ans), se déssèche. Le sentiment se fait discret et la blessure peine à cicatriser. Mais la vie doit continuer et c’est avec ce manque que Paul se construit et traverse la vie. Une vie « française » où la politique n’est jamais loin, tels des jalons rythmant les chapitres du roman comme ceux de la vie de Blick. Une enfance sous De Gaulle, un bac en 68, des études marquées par la libération sexuelle des années 70, des intérims professionnels comme politiques, une élection mitterrandienne puis deux et des proches qui vieillissent et enfin les mandats de Chirac marqués par le deuil et la perte. Un apprentissage avec son lot de désillusions, aussi bien intimes que politiques. Paul est un homme qui ne semble jamais véritablement décider de sa vie : un mariage bourgeois aux antipodes de ses convictions, des idéaux écrasés par les obligations de la vie, même son « métier » et son succès semblent dûs à de heureux hasards. Sa maîtresse le lâche pour un autre amant pendant qu’il fantasme sur la poitrine de sa belle-mère, guindée mais somptueuse. Vie amoureuse, conjugale, familiale, sexuelle, petits arrangements, bref un roman sur la vie à travers le regard désabusé d’un homme qui semble sans cesse chercher sa place et vivre en marge du monde. La plume acérée et terriblement élégante de Dubois raconte bien plus qu’une vie : l’histoire d’une France en marche et d’une société en pleine mutation. Une recette justement dosée qui en fait un roman jubilatoire !

 

 

p.25 :

« Vus de l’extérieur, Claire et Victor Blick avaient l’apparence d’un couple résolument en phase avec l’optimisme de ces temps de plein emploi et de regain où l’on voyait partout surgir les buissons ardents du nouvel électroménager. Oui, mes parents ressemblaient à ces hommes et ces femmes débordant de sève et d’espérance alors qu’ils n’étaient que deux troncs creux, absents, immobiles au milieu du fleuve. A heures fixes, ils regardaient vagir ce nouveau monde parturient, mais restaient de marbre face au long déroulé des atrocités. Le destin du Congo belge, les manœuvres de Joseph Kasavubu, Moïse Tshombé, la mort de Patrice Lumumba les touchaient presque aussi peu que les variations des cours de l’Union minière du haut Katanga. Devant ces violences déchaînées, face à ce téléviseur auquel l’on avait, semblait-il, confié le soin de m’éduquer, je ne cessais de supplier mon frère de revenir prendre sa place à table, pour qu’enfin l’on éteigne ce Grandin, que la vie revienne et que, tous, nous reprenions notre conversation là où une complication opératoire l’avait interrompue le 28 septembre 1958. »

 

p. 33 :

« Telle était ma famille de l'époque, déplaisante, surannée, réactionnaire, terriblement triste. En un mot, française. Elle ressemblait à ce pays qui s'estimait heureux d'être encore en vie, ayant surmonté sa honte et sa pauvreté. Un pays maintenant assez riche pour mépriser ses paysans, en faire des ouvriers et leur construire des villes absurdes constituées d'immeubles à la laideur fonctionnelle. En même temps, les boîtes des automobiles passaient de trois à quatre vitesses. Il n'en fallait pas plus pour que le pays tout entier fût convaincu d'avoir enclenché la surmultipliée. »

 

p. 296 :

« J’avais, à l’époque, la faiblesse de penser être un père disponible, présent, très proche d’eux. J’étais persuadé de les connaître intimement. De partager l’essentiel de leur vie. En réalité, ils voyaient en moi une sorte d’inadapté social, de collatéral perturbant, brouillant les repères, vivant sans horaires, ni projet, ni but, jouant les hommes de ménage, enchaînant les semaines de dimanches ou les voyages au long cours. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que les enfants détestaient ce genre de flou excentrique, ces existences flottantes, ces personnages mal définis. Marie et Vincent voulaient un père normal, un type qui rentre et parte du bureau à heures fixes, suive le cours de leur vie scolaire, entretienne des contacts avec leurs professeurs, emmène de temps en temps la famille en week-end, et, l’été, la réunisse un mois au bord de la mer. La seule chose qu’espèraient mes enfants c’étaient quelques rampes solides, fiables, toujours placées au même endroit et auxquelles l’on puisse se raccrocher en cas de besoin. Au lieu de quoi, et à divers titres, leur mère et moi avions mis à leur disposition des balustrades molles, des appuis mouvants, des soutiens inconséquents, là un jour, disparus le lendemain. Sans même que je m’en aperçoive mes enfants s’étaient écartés de moi pour se rapprocher de la vie. Ils se trouvaient aujourd’hui de l’autre côté du fleuve. Sur la rive des gens sans histoire. Là où vivent les pères qui siègent dans les conseils de parents d’élèves. »

 

 

Une vie française de Jean-Paul Dubois. Editions Points Seuil – 2005. (1ère édition en 2004 aux éditions de l’Olivier). Prix Fémina 2004.

 

 

Une lecture commune avec Anne du blog Des mots et des Notes: son billet!

 

 

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A
<br /> <br /> Ca y est, je viens de publier mon billet (ouf !). J'aime beaucoup le tien : esprit très synthétique... et tentant (je relirais bien le livre, tiens ;-)) Ce n'est pas un livre périmé, non, non, et<br /> c'est une des belles surprises de ces dernières semaines.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Rajouté le lien vers ton billet. Tu as vu, c'est marrant, nous avons utilisé le même qualificatif "jubilatoire" pour en parler. En tout cas, une bonne pioche dans ma PAL (et un de moins, un!)<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Une belle lecture donc ! Bizarrement, je ne suis pas très attirée par cet auteur !! Je pense mettre en ligne demain le billet pour les liens de Novembre !! Tu as été plus rapide que moi ! Je me<br /> demande tiens qu'est-ce que je vais bien pouvoir choisir ce mois-ci !! ;o)<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> J'avais découvert Dubois avec Les accommodements raisonnables que j'avais beaucoup aimé aussi. Et l'on m'avait souvent conseillé Une vie française: je ne suis pas déçue!<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Pas pour moi...j'ai du mal avec ces livres sur cette période.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> La période est large en fait: de 1958 à 2004.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> <br /> ouhlala , il est dans ma Pal celui-là depuis euh.. longtemps... mais ça se périme pas ces choses-là ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Il était dans la mienne depuis longtemps aussi donc, je confirme: il ne se périme pas! ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> J'ai beaucoup aimé ce roman qui m'a transportée dans la France de cette époque!<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Dubois réussit à la fois à écrire un vrai roman et à en faire aussi un livre d'histoire sans jamais ennuyer le lecteur. Avec du coup, pas mal de choses qui nous parlent (en tout cas à moi) car<br /> elles étaient aussi en fond sonore de nos vies (enfin suis pas si vieille non plus!).<br /> <br /> <br /> <br />