La voix d'alto
Avouons-le tout de suite, ce roman-là m’aura donné du fil à retordre. Il m’a fallu du temps pour l’apprivoiser tant la langue y est tortueuse, prenant de longs chemins plutôt que des raccourcis. Mais la prose est belle, il faut le reconnaître, ce qui m’a encouragé à continuer à explorer cette voix d’alto qui sommeillait dans ma PAL depuis… des années. La voix d’alto, c’est justement celle qui accompagne le narrateur, lui que rien, enfant, ne destinait à la musique. Devenu pourtant altiste, l’enfant du Limousin a fait de la musique, bien plus qu’un métier, une vie. Et c’est aussi la musique qui rythme le roman de Richard Millet, la raison peut-être qui m’a laissée souvent à distance. Bourré de références musicales, le roman reste parfois hermétique aux novices (en ce qui me concerne en tout cas).
Cette musique omniprésente, personnage à part entière même du livre, accompagne la relation de l’altiste avec Nicole, une femme en exil qui tente de fuir, plus que son Canada natal, la folie qu’elle sent poindre. Pendant près de huit ans, Nicole et le narrateur auront une liaison particulière, une forme d’amitié amoureuse, dénuée d’engagement, où le désir est présent mais surtout la parole. Leurs rencontres sont marquées par de longues conversations où se racontent les enfances, où se livrent les peurs, où se retrouvent aussi les solitudes d’êtres qui ont choisi de ne pas s’engager, de pas avoir d’enfant, de refuser l’attachement, de vivre la vie comme elle vient, de cueillir l’amour ou en tout cas le désir là où il survient. C’est aussi à cet ami-amant-confident que Nicole confie sa mort à venir, choisie, avant d’entrer « dans l’hiver de la vie » et que la folie qui niche en elle ne la submerge comme elle a déjà pris plusieurs filles de la famille.
Un roman lent qui résonne des souvenirs de l'enfance - de la campagne limousine pour lui, du Québec pour elle – et des cordes de l’alto et du violon. Un livre ardu et beau dans lequel j’ai commencé à trouver ma place en approchant de la fin, qui est à découvrir peut-être, comme me l’a suggéré mon amoureux, avec un CD des références musicales dont regorge le roman. ;-)
La voix d’alto de Richard Millet. Folio/ 2003 (édition revue par l’auteur).
(1ère parution en 2001 chez Gallimard, La Blanche)
« Ce n’était pas un amour comme les autres : il ne faisait appel à presque rien de ce qui lie d’ordinaire un homme et une femme, sentimentalité, jalousie, méfiance, lutte pour la dévoration de l’autre, mutité traversé d’éclairs bavards. Cet amour ne se pliait pas non plus au temps commun qu’à l’ordinaire de la passion, un amour non vulgaire, obéissant aux conditions climatiques autant qu’aux variations de l’humeur et du désir, au goût que nous avions des arrière-saisons, des crépuscules, d’un langage élégant auquel elle me contraignait avec douceur (moi qui, comme tant de musiciens, parle un français familier, voire grossier, puisque mon vrai langage est la musique, c’est-à-dire la possibilité, le luxe de se passer des mots). Goût de l’écart, aussi, du rare, de l’intempestif, de la solitude. »
Un livre exhumé de ma PAL et qui s'inscrit dans le défi initié par Antigone: