Le voyage à Nanga
Pour mon arrivée dans ce joyeux club de lecture, j’ai de la chance : on y parle de Jorn Riel, un auteur que j’aime beaucoup. Comme je connaissais déjà La Vierge Froide - recueil avec lequel j’avais découvert l’auteur – j’ai jeté mon dévolu sur le seul opus de Riel disponible à la médiathèque, Le voyage à Nanga, un racontar exceptionnellement long… et ai ainsi découvert avec effroi que la dite institution ne comptait en ses murs qu’un seul titre de ce bonhomme venu du froid.
« Pour l’heure, on attendait le bateau d’approvisionnement, la Vesle Mari, qui pouvait arriver d’un jour à l’autre.
Les chasseurs des différents districts avaient rejoint, avec une certaine hâte, Mads Madsen et William-le-Noir à Cap Thomson. L’arrivée du bateau, c’était malgré tout bien plus que le simple arrivage de provisions et de nouvelles de l’Europe. Elle impliquait également un regain de vie sociale et de divertissements pour ces hommes qui, dans la vie quotidienne, vivaient isolés er solitaires, disséminés qu’ils étaient dans leurs stations sur l’immense territoire que couvrait la concession de la Compagnie. » Ainsi commencent les nouvelles aventures de cette communauté de chasseurs du Groenland. Sur le bateau, ô surprise, se trouve Halvor. L’homme avait quitté la Compagnie suite à un bien fâcheux incident : un soir de Noël, il avait mangé en lieu et place du cochon, le roi Oscar, son compagnon Vieux-Niels (épisode relaté dans le dernier racontar de La Vierge Froide !). Depuis, il verse dans la religion et a entamé des études pour être curé. Mais avant de terminer son apprentissage, il ressent le besoin de revenir sur ces terres, vestiges d’une autre vie, persuadé d’y avoir oublié quelque chose mais incapable de savoir quoi. Accueilli à bras ouverts par la communauté, Halvor va alors entamer un long périple avant de trouver enfin ce bien si précieux qu’il est venu chercher. Il apprendra aussi à se défaire de sa culpabilité et à vivre en paix avec l’ombre de Vieux-Niels. La quête de Halvor nous conduit chez les différents chasseurs de la communauté : entre petits désaccords, grandes querelles, nouvelles expériences, maux étranges et grandes rasades de schnaps, les situations font, comme toujours, la part belle au burlesque.
Contrairement aux autres recueils de racontars, ce livre-ci est découpé en chapitres (« un racontar exceptionnellement long » : on nous avait prévenus !). La quête d’Halvor est le fil rouge du livre et ses visites chez les différents chasseurs marquent souvent une rupture, la résolution d’une histoire à part entière. Comme si cet homme perdu atteignait peu à peu une forme de sagesse. Une sagesse qui l’amènera à comprendre – dans les bras d’une belle métisse asiatique - que ce qu’il était venu chercher, c’était lui-même.
Le voyage à Nanga est le troisième livre de racontars de Riel que je découvre (après La Vierge Froide et le canon de Lasselille) et j’ai retrouvé avec plaisir ces hommes bourrus, simples et attachants qui évoluent bien loin de nos hypocrisies. Ici on vit au rythme des saisons, chacune amenant sa dose de travail mais il n’y a rien qu’on ne puisse remettre à plus tard. Alors on prend parfois (souvent ?) le temps de partager un verre et de discourir sans fin sur les petites et les grandes choses de la vie. J’ai ri de leurs mésaventures burlesques et de leurs théories sur la psychologie, l’amour ou le travail frôlant souvent l’absurde. Au fur et à mesure de mes lectures, cette petite communauté de chasseurs devient une petite famille à laquelle j’aime rendre visite de temps en temps.
Sans détailler les quinze chapitres du livre, voici ceux qui m’ont particulièrement plu :
- chapitre 1 : Une surprise. Bjorken, qui a hérité d’un manuel de psychologie, possède un savoir « primitif » dans le domaine et décide de démontrer (vertement) à Lasselille la théorie des réflexes conditionnés de Pavlov !
- chapitre 3 : La pipe. Une dispute éclate entre Mads Madsen et William-le-Noir autour de l’idée même de propriété. Idée que l’on pourrait ainsi résumer : « ce qui est à toi est à moi et ce qui est à moi est… à moi ».
- chapitre 5 : Vacances. Le Doc, fournisseur d’électricité (grâce à son coup de pédale) pour le télégraphe décide subitement d’arrêter de pédaler et de prendre des vacances. Il enfourche donc… son vélo et s’encombre aussi du télégraphiste Mortensen qui s’installe allègrement sur le porte-bagages ! Des vacances bien agitées car le Doc croise de bien piètres chasseurs. On apprend aussi dans ce chapitre que finalement un bon vin peut remplacer efficacement cris et coups de fusil, dans la chasse aux bœufs musqués.
- Chapitre 7 : La mauvaise passe du lieutenant. Un beau matin, le vaillant Lieutenant Hansen contracte un bien étrange mal : une volupté inexpliquée s’empare de lui, lui offrant quelques délicieux frissons et un priapisme pas toujours opportun. Mais à tout mal, il y a un remède...
Et aussi le témoignage touchant de Fjordur et la rencontre entre Halvor et Miss Ma Kin Mahon.
Après ce long monologue (merci à ceux et celles qui m’auront lue jusqu’au bout !), il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une belle et heureuse année remplie de découvertes et d’émotions littéraires !
Le voyage à Nanga, un racontar exceptionnellement long de Jorn Riel (traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet et illustré par Eiler Krag). Editions Gaïa (1997).
crédit photo: Gaïa & Amazon