Sévère
« La fiction éclaire comme une torche. Un crime demeurera toujours obscur. On arrête le coupable, on découvre son mobile, on le juge, on le condamne et malgré tout demeure l’ombre, comme l’obscurité dans la cave d’une maison illuminée de soleil. » écrit Régis Jauffret dans une belle préface à ce roman inspiré d’un fait-divers qui a défrayé la chronique à l’époque : l’assassinat du financier Édouard Stern par sa maîtresse Cécile Brossard. Invité par le Nouvel Observateur à relater, à l'époque, le procès, Régis Jauffret a trouvé dans cette histoire d’amour ( ?) mortelle le sujet de ce roman. « Dans ce livre, je m’enfonce dans un crime. Je le visite, je le photographie, je le filme, je l’enregistre, je le mixe, je le falsifie. Je suis romancier, je mens comme un meurtrier. » Il ne s’agit en effet pas ici de relater simplement la chronique d’un fait-divers mais bien d’imaginer la liaison fatale qui a uni ces deux êtres. Jauffret se met dans la peau de cette maîtresse qui répond aux fantasmes d’un homme que les relations sado-masochistes excite. Une histoire tenue par la sexualité, où la tendresse est peu présente. L’héroïne de Sévère sait et souffre de la distance de son amant et pourtant, elle se prend à rêver un amour qui ne lui sera jamais donné. Et lorsque le rêve s’effondre complètement, au détour d’une manœuvre peu galante et d’une phrase assassine, elle signe la fin de l’histoire et de son fantasme d’amour d’un geste fatal.
Une écriture clinique pour une histoire où chacun s’enfonce dans le faux-semblant, où l’argent régit les relations, où le sentiment se rêve, où la tendresse se mendie. Une histoire vraie, de cette vérité crue qui fait froid dans le dos, et pourtant fictionnelle car cette incursion au plus près du cœur de la meurtrière est celle imaginée par Régis Jauffret à qui je laisse la conclusion : « Personne n’est jamais mort dans un roman. Car personne n’existe dedans. Les personnages sont des poupées remplies de mots, d’espaces, de virgules, à la peau de syntaxe. La mort les traverse de part en part, comme de l’air. Ils sont imaginaires, ils n’ont jamais existé. Ne croyez pas que cette histoire est réelle, c’est moi qui l’ai inventée. Si certains s’y reconnaissent, qu’ils se fassent couler un bain. La tête sous l’eau, ils entendront leur cœur battre. Les phrases n’en ont pas. Ils seraient fous ceux qui se croiraient emprisonnés dans un livre. »
Sévère de Régis Jauffret. Editions Seuil/ mars 2010.
Et un livre de moins dans ma PAL!