La robe bleue
A partir d’une photo de vieille femme assise sur une chaise, Michèle Desbordes déroule le fil de l’attente. La photo a été prise en 1929 à Mondevergues, un asile psychiatrique du Vaucluse. La femme, c’est Camille Claudel. Celui qu’elle attend, c’est son frère Paul, son « petit Paul ». Depuis l’enfance, ces deux-là sont liés, inexorablement. Liés par un amour indéfectible, par leur envie d’aller croquer la vie autrement, ailleurs, loin des codes imposés par leur famille bourgeoise. Paul, c’est aussi le seul membre de la famille qui viendra visiter cette sœur internée lors de ces longues années à l’asile. Quand il peut, entre deux voyages, entre deux postes de consul ou d’ambassadeur. Le reste du temps, Camille attend et Michèle Desbordes imagine cette attente plongeant dans le passé talentueux et tumultueux de la sculptrice.
La langue de Michèle Desbordes traduit à elle seule les journées monotones, l’attente continue, le vide des jours, l’ « exil » de près de trente ans. L’auteur aborde aussi les souvenirs, ceux de l’enfance, d’étés lumineux, ceux de l’amour, du désir et de la rupture avec Rodin, l’enfermement ensuite dans l’atelier où Camille Claudel restait cloîtrée, le manque d’argent, le bruit infernal qui gêne les voisins, les enfermements dans le silence ou la grande volubilité, la chute lente dans la folie et le bruit des chevaux qui l’emportent vers l’asile de Ville-Evrard avant d’être transférée à Mondevergues. Il y est aussi question de création, du travail acharné, des splendeurs qui naissent de la puissante énergie créative de Camille Claudel.
Récit envoûtant, nourri de l’œuvre, de la correspondance et de la vie de Camille Claudel, La robe bleue est aussi un récit imaginaire, celui des années d’enfermement. Un livre-hommage magnifique au plus près de Camille la femme, Camille la rebelle, Camille la talentueuse, Camille l’amoureuse, Camille la sœur, Camille la passionnée.
Une lecture que j’ai terminée en replongeant dans Camille Claudel, correspondance (édition d’Anne Rivière et Bruno Gaudichon paru chez Gallimard, coll. Art et artistes/ 2003) et dans le catalogue d’exposition C. Claudel (Fondation Pierre Gianadda, 1990).
Camille Claudel vers 1884 (par César)
Camille Claudel en 1929 (par William Elborne)
Une lecture qui a aussi ravivé les souvenirs d’un film découvert adolescente : Camille Claudel de Bruno Nuytten (avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu). Et ceux du beau spectacle de Marie-Claude Pietragalla autour de l’artiste (et qui aborde aussi l’enfermement) vu et revu maintes fois en DVD : Shakountala.
La robe bleue de Michèle Desbordes. Editions Verdier, coll. Verdier Poche/ 2007.
Un livre extrait de ma PAL pour le challenge de Calypso: UN MOT, DES TITRES.