Konovalov
« Je parcourais distraitement un journal ; soudain j’y aperçus un nom, Konovalov, et intrigué par le nom, je lus le fait divers suivant :
« Hier soir, dans la salle de la prison, Alexandre Ivanovitch Konovalov, âgé de quarante ans, bourgeois de la ville de Mourom, s’est pendu à la clé du poêle. Arrêté à Oskov pour vagabondage, il avait été ramené, par étapes, à sa ville natale. D’après le rapport du directeur de la prison, c’était un homme toujours paisible, taciturne et rêveur. De l’avis du médecin, le suicide doit être attribué à l’hypocondrie. »
A la lecture d’un fait divers, le narrateur, Maxime, revient sur sa rencontre avec Konovalov, alors que tout jeune garçon, il était apprenti dans une boulangerie. Durant quelques mois, Maxime a partagé le labeur avec Konovalov, un grand bonhomme à « la belle barbe rousse qui tombait sur sa poitrine et la recouvrait de son large éventail » et aux grands yeux doux. Un homme qui pétrissait la pâte comme personne et connaissait le secret des bons pains à la croûte dorée et à la mie moelleuse. Konovalov, ouvrier hors pair et ardu à la tâche ne restait pourtant jamais bien longtemps à un poste. Car pris régulièrement par une forme de mélancolie, il abandonnait tout pour noyer son vague à l’âme dans des flots d’alcool. Konovalov ruinait sa vie de façon méthodique et régulière. Pendant les mois qu’ils partagèrent au fond d’une cave sombre, Maxime fit découvrir à ce grand bonhomme aux allures de rustre la littérature. Leur vie se partageait entre le pétrin, les fournées et les lectures de Maxime qui mettait Konovalov dans une terrible exaltation. Une rencontre finalement bien brève à l’échelle d’une vie mais qui marqua, à jamais, le cœur de nos deux protagonistes.
Bonne pioche pour la première lecture du défi organisé par Marie L. Une nouvelle russe qui nous plonge dans les affres d’un personnage vraiment particulier, à l’âme de poète. De ceux qui vivent constamment sur une corde raide, tentant d’être au monde mais que la sensibilité et l’âme vagabonde empêchent de garder les pieds sur terre. J’ai aimé ce Konovalov, attachant malgré sa perpétuelle (et consciente) autodestruction, j’ai aimé son âme terriblement lucide et ses amours impossibles.
Bien que férue de littérature classique, russe de surcroît, je n’avais jamais lu Maxime Gorki. Ce fut, avec cette nouvelle, une bien jolie découverte qui titille ma curiosité d’aller chercher plus loin dans les écrits de Gorki. Une littérature qui interroge les tréfonds de l’âme humaine, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et voilà comment ce challenge censé faire baisser ma PAL va dangereusement faire augmenter ma LAL !
Extrait :
Konovalov aimait la nature d’un amour profond et muet, qu’exprimait seul le regard tendre de ses yeux, et chaque fois qu’il se trouvait dans les champs ou au bord de l’eau il manifestait une humeur paisible et douce qui augmentait encore sa ressemblance avec un enfant. Parfois, en regardant le ciel, il disait avec un profond soupir :
- Ah! Comme c'est beau!
Et dans ces simples mots, il y avait plus de signification et de sentiments que dans la rhétorique de plusieurs poètes. Ceux-ci s’extasient moins par un culte sincère de l’indicible charme de la nature que pour soutenir leur réputation d’hommes qui comprennent avec raffinement le beau. Et la poésie, comme toutes choses, perd sa divine simplicité et sa spontanéité dès qu’on en fait commerce.
Konovalov de Maxime Gorki. Editions Le Livre de Poche, coll. Biblio.
Année de parution : 1897 ou 1898
Pas de photo de couv dispo sur la toile, le livre est indisponible dans cette collection mais on peut retrouver ce titre dans des recueils de nouvelles de Maxime Gorki.