Grand Hôtel
En relatant quelques jours de la vie d’un grand hôtel berlinois, c’est un regard sur la société des années 20 que donne avec talent Vicki Baum. Pour autant, le texte n’est pas daté tant les tourments, les aspirations, le monde sans concession des affaires, les petites mesquineries de la vie, les sentiments ont ici une portée universelle.
Installé pendant de longues heures et de longs mois dans le hall du Grand Hôtel, le docteur Otternschlag pose un regard cynique sur les clients qui s’y croisent. Vivant dans une effroyable solitude, l’homme marqué dans ses chairs par une guerre pas si lointaine ouvre et ferme ce riche roman où en quelques jours des drames vont se jouer, des vies se transformer, un amour naître et la mort frapper. Au Grand Hôtel séjourne le temps de quelques représentations la Grousinskaïa, une danseuse vieillissante qui ne remplit plus les salles. Elle a voué sa vie à son art, a touché les sommets de la gloire et ne peut se résoudre à accepter le travail du temps sur son corps et sa carrière. Débarque à l’hôtel, le souffreteux Otto Kringelein : se sachant condamné par la maladie, ce comptable d’une grande usine de textiles est bien décidé à mener grand train avec ses économies, à vivre enfin comme un homme riche, lui qui a passé de longues années à compter le moindre sou d’une vie de labeur. Dans cet hôtel de standing est aussi installé un fringant et beau jeune homme, débordant de vie et de charme, le baron Gaigern. Il séduit tous ceux qui le croise, cachant la réalité d’une vie de bandit mondain. Dans les couloirs de l’hôtel, Kringelein croise le directeur général Preysing, son patron venu pour affaires et qui ne le reconnaît à peine. L’homme d’affaires va livrer une négociation au bras de fer (magnifique scène !) tentant le tout pour le tout mais va aussi s’amouracher d’une jeune assistante, Flammèche, prête à tout contre de l’argent sonnant et trébuchant. Ces protagonistes vont croiser leurs destins, pour le meilleur et pour le pire, dans l’amour et la haine, dans les faux-semblants et les rapports régis par l’argent, dans les mensonges et les mesquineries. Chacun ressortira de ce séjour à jamais transformé. Et le Grand Hôtel, plus qu’un simple décor, se révèle un personnage à part entière du roman de Vicki Baum : si les clients passent, si les histoires laissent des marques ou sont vite oubliées, c’est toute une vie qui fourmille dans ces murs, celle des réceptionnistes, des chasseurs, des femmes de chambre… Une vie faite de bonheurs, de déceptions, de menus larcins, de petites hontes, d’amours déçues, de travaux éternellement recommencés. Grand Hôtel livre un regard aigu sur l’humain qu’il sonde avec justesse, sur la société et la lutte des classes, sur le pouvoir biaisé de l’argent et sur les traces terribles de la guerre. L’ensemble est véritablement jubilatoire et a donné un film à succès dans les années trente (« Grand Hôtel » d’Edmund Goulding avec entre autres Joan Crawford et Greta Garbo) que l’on a vite envie de découvrir une fois le roman refermé.
Grand Hôtel (traduit de l’allemand par Gaston Baccara) de Vicki Baum. Editions Phébus, coll. Libretto/ 2007 (texte original paru en 1929 – 1ère édition française chez Phébus en 1997).
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