Café viennois
Clara accepte, un peu surprise, de partir en voyage avec Frieda, sa mère. Destination : Vienne, la ville natale de Frieda que celle-ci a quittée il y a plusieurs décennies. Parce que la guerre était là, parce que sa famille était juive, parce qu’Hitler avait des idées d’annexion et d’épuration. De cette Vienne-là, de cette guerre-là, on n’en parle jamais dans la famille de Clara. Et pendant ce périple entre mère et fille, c’est tout un pan de l’histoire familiale qui se reconstitue, un pan que Clara elle-même avait occulté pensant y être complètement étrangère. Quelques années plus tard, Clara prend prétexte d’un reportage pour retourner à Vienne, seule et en secret sur les traces de l’enfance viennoise de Frieda. Un voyage dans le souvenir mais aussi et surtout à la recherche de soi.
Extraits :
p.49 : A Vienne, il ne suffit pas de commander « un café ». Il faut être précis et savoir ce que l’on souhaite boire. Un Schwarzer, un café noir, un Kleiner, noir et serré, un Kapuziner avec quelques gouttes de crème, un Melange, mi-café mi-lait, un Verkhert, presque blanc, un Brauner avec un nuage de lait. On peut aussi demander un Eiskaffee, sorte de café liégeois, un Einspänner, noir mais servi avec de la crème fouettée, voire, pour les gourmands à l’estomac solide, mit Doppelschlag, avec double portion de crème fouettée, ou pour les amateurs de sensations fortes, un Fiaker avec du rhum dans la crème, voire un Maria Theresa avec crème et liqueur d’orange. Quelle que soit la commande, le café est servi sur un plateau en argent ovale, un verre d’eau posé à côté de la tasse, avec la cuillère en biais sur le verre d’eau.
p. 52 : Elle avait le sentiment de ne l’avoir jamais suffisamment bien regardée. En fermant les yeux, elle reconstituait aisément le nez bien droit, la bouche charnue mais petite, les sourcils à l’arcade étrangement courte, les cheveux auburn, les lunettes carrées, les oreilles toujours égayées de boucles d’oreilles, mais le tracé des rides, l’expression du plaisir, le masque de la solitude, la personne derrière sa mère, elle n’aurait pas pu la décrire. […] A presque quarante ans, il avait suffi de quelques heures à Vienne pour que Clara s’aperçoive qu’elle ignorait tout de ce qui avait durci, embelli, creusé le visage de sa mère. Une mère, ça va de soi. On peut la remettre en question, jamais en cause. Elle est le garant de la certitude qu’il y a eu sur terre une personne, au moins une, qui vous a désiré, fabriqué, accepté, aimé, un être qui a toujours été là pour vous. Alors sa vie de chair, quelle importance, puisque c’était avant sa vie à elle, Clara. On connaît la mère, mais on ne veut surtout pas s’imaginer la femme qui l’a précédée, encore moins la jeune fille.
Café viennois de Michèle Halberstadt. Editions Le Livre de Poche/ 2008 (1ère édition : Albin Michel/ 2006)