La complainte du paresseux
La vie d’Andrew Whittaker semble être en plein effondrement : son entreprise immobilière périclite entre dettes énormes et locataires qui refusent de payer leur loyer en raison de divers incidents dus à la vétusté des lieux. Son entreprise intellectuelle - une sombre revue littéraire, Mousse, dont Whittaker est le fondateur et le rédacteur en chef – ne se porte guère mieux, devenue même la risée et la cible des quolibets des rédacteurs d’autres revues plus en vogue.
On imagine Whittaker en scribouillard aux contours misanthropes, s’éloignant de plus en plus de réalité. Enfermé dans sa grande maison vétuste, il écrit sans relâche des courriers à ses locataires, à son ex-femme, aux auteurs qui soumettent des textes à Mousse, au quotidien local, à la banque, à quelques rares amis, souvenirs d’une ancienne vie. Il rédige aussi des listes de courses, des messages du syndic ou encore des petites annonces faisant miroiter la belle vie à de futurs locataires naïfs. Et puis, ponctuant ces écrits tantôt acerbes, tantôt plaintifs, tantôt méchants et méprisants, parfois lucides aussi, quelques extraits de manuscrits. Et petit à petit, à travers cette logorrhée épistolaire, le personnage ambigu de Whittaker prend forme : un homme peu attachant, solitaire, un brin parano, un brin pervers aussi. Un homme qui glisse peu à peu dans la folie, fatigué du monde et de lui-même.
Un roman épistolaire enlevé (malgré quelques longueurs en toute fin) où l’on passe du rire franc au grincement de dents. On y assiste impassible à la chute d’un homme qui s’est nourri d’illusions, rêvant en bonne partie sa vie. A l’image du paresseux, curieux animal qui finit sa vie totalement solitaire et envahi par la mousse de l’arbre duquel il ne bouge plus, Andrew Whittaker s’enfonce dans le désoeuvrement, dans une vie qui n’a plus de prise avec la réalité. En pleine déliquescence, il paie le prix du vide qu’il a créé autour de lui. Une drôle de tragédie à découvrir !
La complainte du paresseux. Histoire principalement tragique d’Andrew Whittaker, réunissant l’ensemble irrémédiablement définitif de ses oeuvres complètes de Sam Savage (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy). Editions Actes Sud/ 2011.
Et qui dit roman épistolaire, dit challenge épistolaire!